Laeticia BERNARD, journaliste, cavalière et aveugle. "Ma vie est un sport d'équipe"

"Le sens du cheval c'est la confiance" "Ma vie est un sport d'équipe"

En pleine écriture de son livre nous avions eu la chance d'échanger longuement l'été dernier, avec Laeticia Bernard. Son humour, sa joie, sa détermination, son parcours de vie éclatent dans cette rencontre et dans sa nouvelle publication "Ma vie est un sport d'équipe" (Stock)

On ne saurait trop que vous conseiller d'en faire votre livre de l'été à défaut d'être celui de votre chevet. Parce qu'une telle lumière ne se rate pas.

Pour évoquer Laeticia Bernard, qui d'autre que Michel ROBERT, le spécialiste du regard à cheval ?

"C’est une personne extraordinaire avec un courage incroyable ! Je suis cavalier depuis longtemps et j’étais en équipe de France, je peux vous dire que se lancer sur un parcours d’obstacles, sans rien voir des risques pour sa santé, pour le cheval, comme à pied d’ailleurs, il faut vraiment du courage ! Je l’aime et l’admire beaucoup.

Moi je travaille sur la technique et sur la méthode. Les voyants reçoivent des images qu’ils transforment en pensées, en danger, en positif ou en négatif. Laeticia reçoit des sensations avec le cheval qui sont complètement différentes. Des sensations corporelles, le vent, le galop du cheval , le son du galop… Laeticia est pour moi une source d’interrogations. Mis à part le  côté technique, c’est surtout son courage, sa force, sa détermination qui sont un exemple pour chacun d’entre nous. Et avec Laeticia on est servi !"

Laeticia, comment s’est passée votre rencontre avec l’équitation ?

Ma toute, toute 1ère fois c’était en maternelle, lors d’une activité poney qu’on avait de temps en temps le mercredi. Ma rencontre avec l’équitation, elle, c’est beaucoup tard. J’étais ado, en 5e ou 4je suis retournée dans le poney-club où j’avais été initiée parce que j’en avais gardé un bon souvenir.  Je suis tombée sur une monitrice passionnée, qui adorait le saut d’obstacles ; elle m’a considérée comme une cavalière à part entière et c’est elle qui a commencé à me faire découvrir les subtilités techniques, les aides du départ au galop ect etc

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y mettre plus régulièrement ?

La sensation. Celle d’être en selle, le mouvement en avant et cette communication étrange avec l’animal, cette connexion qui se faisait entre le poney et moi. C’est une sensation qui est très très différente de celle que l’on peut avoir à pied ou dans la vie. Est venue s’ajouter à ça la dimension technique,  la relation qu’on peut avoir le poney via la voix, une attitude corporelle. Ce qui m’a vraiment poussée c’est quand m’a monitrice m’a fait sauter des obstacles. Là j’ai découvert quelque chose hors normes qui m’a plu vraiment tout de suite. C’était comme une évidence. Vous savez, quand  je commence une activité, j’aime bien explorer… Je suis assez curieuse… J’aime bien progresser et l’équitation de ce côté-là c’est quand même assez riche !

Vous démarrez l’équitation et le saut d’obstacle vers l’âge de 13 ans et moins d’un après, le premier titre !

Oui ça c’est fait assez vite ! J’ai 14 ans en 1997. Ca s’est passé en une saison quand je suis allée au Championnat handisports. C’était p’tit niveau hein ! J’ai fait une 60 centimètres. De toute façon nous, en handicap visuel, on est sur les plus petites épreuves. Mais j’ai eu vachement de chance ! On a fait un parcours sans faute, mais il ne ressemblait pas à grand-chose ce parcours ! On était à fond tous les 2 avec Velours, mais de manières différentes !! J’ai gagné ex aequo avec une autre cavalière.

Gaspard de Lespie (Connemara) c’est le cheval de votre vie ?

Bien sûr que c’est le cheval de ma vie ! Au début, quand mon entraineur me le présente, je n'en veux pas. Il est perché tout seul, raide dans sa locomotion et puis c’est une masse…. Un jour en concours, je m’éclate par terre et je ne pouvais pas aller en piste. Du coup, je prends Gaspard. Il m’a fait un parcours hors normes.   Sauter 80cms en suivant le cheval de devant ça l’a fait marrer ! Il ne m’a jamais fait la moindre pile. Il était embêtant car il voulait toujours doubler le copain de devant mais il avait quelque chose à donner qu’il a mis à mon service. C’est le cheval qui m’a fait franchir tous les caps de compétitrice,  celui qui m’a fait atteindre mes objectifs. On a tout partagé : les problèmes de santé, la joie, la tristesse. Je lui ai promis «t’inquiète Gaspard, moi je m’occuperai toujours de toi ». Gaspard il a tout assuré de A à Z ; tout ce qu’il a pu faire pour moi, il l’a fait. Maintenant il a 18 ans, il est à la retraite du côté de Cheverny avec des copains de son âge. Mais je peux vous en parler pendant 4 jours de Gaspard !!

Est-ce que le fait d’être d’abord reconnue par votre handicap, avant vos compétences vous pose problème ?

Il y a quelque chose de perturbant, c’est sûr, mais pas uniquement dans le cheval. C’est comme ça, il faut apprendre à faire avec et ne pas pencher ni dans un sens ni dans l’autre. Il a fallu que je me construise moi, en apprenant, en discutant avec les gens. En comprenant les mécanismes, on s’y fait.  Je n’ai pas le choix donc à partir de ce moment là il faut composer.

Est-ce que vous avez eu besoin d’en faire plus ?

Personne ne m’a obligé à monter et je ne me suis pas sentie obligée d’en faire plus. Le plus difficile c’est de trouver des écuries, des entraîneurs prêts à me suivre ;  il faut donc que je sois plus persuasive. La seule chose que j’ai dû appréhender sont les angoisses que me provoquait mon handicap quand un cheval partait en coup de cul par exemple ou quand il y avait un écart ou une mauvaise sensation sur un saut. Je n’avais plus du tout de repères et c’est cet aspect technique de mon handicap qui a été le plus difficile à gérer, même encore aujourd’hui. Avant une épreuve je suis morte de stress, je ne peux pas manger, j’ai du mal à respirer, même si j’ai progressé ! Ca vide nerveusement un parcours. Je sors complètement lessivée mais surtout de concentration,  pas de la partie physique.  Sans préparation mentale, ce n’est pas possible pour moi ; elle me permet de voir les enjeux en amont. Si je tombe par exemple ca va donner une mauvaise image du sport pour les personnes handicapées, freiner l’ouverture d’esprit, décupler les angoisses des gens style « elle est aveugle pourquoi elle fait ça »…  Je prends en compte toute cette dimension.

Le regard pour un cavalier est très important. Pour vous, il est compensé par quoi ?

Sourire d’abord. Sourire va ouvrir le visage et créer une zone d’énergie, une envie d’avancer, le fait d’avoir les yeux ouverts je dirais, le fameux souris/énergie. Fixer un point, je ne peux pas. Donc mes oreilles vont venir équilibrer. Je les utilise pour savoir où je me dirige (importance du guidage vocal sur le parcours NDLR) et puis la connexion par le centre de gravité avec mon cheval. Si lui et moi on est en équilibre, on va pouvoir fonctionner sans se gêner l’un l’autre. A partir du moment où je capte sa motricité et que je ne le gêne pas, ça va compenser le regard.

L’équitation a-t-elle contribué à la construction de l’adulte que vous êtes aujourd’hui ?

Oui complètement.  Déjà par l’épanouissement personnel qu’elle m’a apportée, la force de caractère, la force intérieure que cela donne et puis les rencontres. J’ai découvert le monde des journalistes en tant qu’interviewée dans les compét’ et ça m’a donné envie de poursuivre, d’en faire mon métier.

La base de tout franchement c’est la sincérité. Cette recherche de sincérité dans l’affection et la bienveillance des gens, de mon cheval… Cette ouverture, cet équilibre, ces sourires, passent par un engagement, un travail ; j’ai un respect de moi, de mon cheval et des autres qui m’entourent. Je suis toujours dans le dialogue, je fonctionne dans le partage. C’est un vase communiquant. Le cheval est mon équilibre de vie.©

 

CL

Photos laeticiabernard.fr  -  CSébastien Calvet RF - Garry Photo

01-07-2021