MARIO LURASCHI, LE CENTAURE

" Tous mes chevaux de spectacle sont 10 fois plus cabots que moi ! "

Vous souvenez-vous de votre tout 1er contact avec un cheval ?

Bien sûr. C’était en 1963, à Saint Rémy de Provence sur le feuilleton « Les indiens » Des chevaux de cirque… Coup de foudre on peut pas dire, parce que j’en ai bavé grave du fait que c’était avec des gens de cirque qui m’ont fait une instruction à la dure. Mais pour moi c’était un challenge que j’ai relevé et j’en étais très content. Le coup de foudre avec le cheval, lui,  m’est venu beaucoup plus tard. C’était en Espagne, où j’ai travaillé avec des gens qui préparaient des chevaux pour la tauromachie. Là c’était le vrai coup de foudre fantastique ! La beauté du cheval espagnol, avec son mouvement, avec ses crins, toute cette partie dressage qui m’a énormément servie au cinéma. J’avais 17 ans.

Qu’est-ce que vous regardez en 1er chez un cheval ?

Sa généralité. Puis l’œil, son ossature et les tendons. Le 1er coup d’œil que j’ai sur un cheval n’est pas du tout un « coup d’œil d’amour » si je puis dire ; c’est plutôt un coup d’œil technique puis j’apprécie ses mouvements. C’est lorsque je commence à voir ses mouvements que le coup de cœur peut venir. Si ça ne vient pas, je ne l’achète pas. Je ne ramène jamais un cheval (exclamation ! NDRL) si je me rends compte après, qu’il ne me convient pas ! Vous n’avez pas le droit d’utiliser un animal pendant 3 mois pour vous apercevoir que ça ne le fera pas ! S’il ne me convient pas, je revends l’animal mais jamais je ne le ramène, jamais ! Et puis c’est pas parce que moi je ne vais pas m’entendre avec, qu’une autre personne ne va pas s’entendre merveilleusement avec lui !

Est-ce que vous avez des critères pour qu’un équidé entre chez vous ?

L’osmose. Je cherche l’osmose tout simplement. Sentir que le cheval est volontaire, avec le lequel je vais bien m'entendre, qu’il soit assez confortable... Si l’osmose est là, nous ferrons une belle complicité de vie ensemble.

Et pour qu’un humain entre dans votre cercle c’est pareil ?

C’est la même chose, bien sûr. Déjà, par mon travail je suis parfois obligé de fonctionner avec des gens pour qui je n’ai pas une estime extraordinaire, mais qui ont d’autres talents ; donc je travaille quand même avec eux. Beaucoup de gens dans leur job ne sont pas en osmose totale avec leur supérieurs ou collègues. L’expérience me sert à me rendre compte très vite si ça va aller ou pas, avec les humains comme avec les chevaux. Je peux me tromper bien sûr ; je ne suis pas Merlin avec sa baguette magique qui va choisir le super et merveilleux cheval qui va devenir extraordinaire. Non ! Plein de fois  j’ai des marchands de chevaux, à qui j’achetais un lot par exemple, qui m’obligeaient à prendre un cheval que je trouvais moche, qui n’allait pas, et je me rendais compte, quand je commençais à le travailler, que je me plantais complet. Il s’avérait en fin de compte que le cheval était le meilleur du lot alors que je ne l’aurais pas choisi. C’est comme pour une personne avec laquelle vous pensez, quand vous la rencontrez, qu’elle va vous plaire et puis petit à petit, vous vous rendez-compte que finalement elle ne correspond pas à votre éthique de vie.

Qui mène la danse ? Le cheval ou vous ?

……… Les deux….. Quand je suis dans une situation un peu précaire, il ne me laisse pas tomber et moi je ne le mets jamais dans une situation qui va lui être désagréable. Il y a plein de choses que je n’ai pas voulu faire au cinéma parce que je trouvais que le terrain n’était pas bon et que ça ne convenait pas à mon cheval. Alors je faisais une autre proposition au metteur en scène qui ne mettait pas le cheval en danger. Je dis toujours :  « un millimètre de la peau de mon cheval vaut largement plus qu’un mètre de pellicule ».

Vous êtes mi-homme mi cheval ?

Bien que je ne se sois pas extrêmement croyant dans ce genre de chose, je suis né sous le signe du Cheval, le Centaure (Sagittaire NDRL). Il y a forcement un lien !

La reprise de la tournée Fascination, interrompue pour cause de Covid est prévue, normalement, en février au Zénith de Nantes. Ce spectacle, qui vient couronner 50 ans de carrière,  où, pour la 1ère fois, vous parlez de vous, a-t-il été difficile à concevoir ?

Non pas vraiment…. Parce que j’avoue avoir eu un côté prétentieux dans ma vie et le cheval s’est magnifiquement chargé de me remettre dans le chemin. Vous voyez, ce matin j’étais avec un jeune poulain de 3 ans1/2 ; il en a rien à foutre que je m’appelle Mario Luraschi ! Et c’est fabuleux, parce que vous devez renégocier, lui montrer que vous êtes quelqu’un de bien et qu’en fin de compte vous allez être meilleurs amis. J’ai appelé mon spectacle Fascination parce que le cheval est l’animal qui me fascine le plus au monde. Un cheval qui fait du spectacle, il aime ce qu’il fait ; son cœur bat avant de rentrer en piste et quand il est en piste, il se révèle, il aime, c’est un artiste. C’est pour ça que je dis toujours aux gens qui aiment les animaux, d’apprendre d’abord à connaître l’animal que l’on veut protéger, ça évite de dire n’importe quoi ! Quelques fois je me fâche avec des gens qui pensent sauvegarder, alors qu’en fait ils participent à l’élimination plus rapidement. Cette méconnaissance, je trouve ça scandaleux !

Pensez-vous qu’un poney ou un cheval qui entre dans la carrière de concours est dans les mêmes dispositions que vos chevaux de spectacle ?

Absolument ! A 100% oui ! Un cheval qui fait une course hippique à Vincennes ou du CSO adore ça ! Son but c’est de gagner. Tout cheval ou poney qui fait quelque chose qui l’intéresse est fantastique ! Regardez, avant, il y avait des chevaux qui labouraient et qui étaient dans un sillon absolument parfait ; ils aimaient le travail qu’ils faisaient. Un cheval ou un poney qui n’aime pas ça, en concours il vous fait 2 piles et vous êtes éliminés. Il comprend vite et faut surtout pas le prendre pour un imbécile ! Un jour à Londres, au Royal Horse Show, je faisais répéter un jeune poulain  et il a fait quelque chose qui ne me convenait pas. Je lui ai mis très léger petit coup de stick, non pas pour le punir mais juste pour lui montrer qu’on était pas dans la bonne voie et je me suis fait siffler. Alors j’ai pris le micro et j’ai expliqué pourquoi je faisais ça : « avec ce que je fais là je sauve la carrière de mon cheval. Il doit comprendre que lorsqu’on est en piste, on doit faire un travail de coopération totale et qu’il ne doit pas se comporter de façon mauvaise parce que c’est sa carrière qui est en jeu » Je ne pense pas qu’un cheval se moque de sa carrière. Un cheval finit par aimer le travail qu’il fait sinon on y arriverait pas. Il nous dirait "va te faire voir" avec une facilité déconcertante ! Si on arrive à éduquer des chevaux d’une certaine façon c’est parce qu’ils le veulent bien . Chez moi, dès que j’ouvre la porte du box, le cheval tout de suite va se mettre en valeur ; il se sent écouté. J’arrive par exemple avec quelqu’un et là le cheval se dit « Ah bien tient, il y a quelqu’un à épater ! » Quand je tourne un film et que je travaille de 08h00 à 19h00, je n’ai jamais de chevaux aussi exceptionnels qu’à ce moment là. Ils sont à l’écoute to-tale !

Est-ce qu’il peut y avoir des chevaux un peu cabots ?

Oh oui ! Tous mes chevaux de spectacles sont 10 fois  plus cabots que moi ! Il y a une telle complicité ! Mon but à moi c’est de les mettre en valeur et eux pareil.

Qui est votre premier regard quand vous concevez un spectacle ?

La première chose que je fais c’est que je m’assois comme un spectateur et je me dis : " qu’est-ce que j’ai envie de voir ? Qu’est-ce qui va m’épater ? Qu’est-ce qui va me donner du plaisir à regarder un cheval évoluer ? " Et j’essaye de le créer. De cette façon, un spectateur qui a vu Fascination ressort de là content. Et ce qui est incroyable, c’est la file après le spectacle pour avoir un autographe. Les gens attendent patiemment si longtemps que quelques fois ils attendent plus que la durée du spectacle ! Ca me sidère. Vous savez, avant le confinement il y avait 19 000 réservations pour Fascination ; seulement 2000 places ont été rendues. Ce public, je le remercie tous les jours.©

Pour aller plus loin :

  • l'entrevue d'Oiliver Daudé et les photos de Jean-Marie Marion www.parisbazaar.fr
  • www.luraschi.com

CL 

Crédit photo : Déclic Communication

 

 

15-10-2020